Skip to main content

albin de la simone happy end

Sur une idée de Albin de la Simone, qui inaugure la série, tôt Ou tard lance Les Instrumentôt ou tard, collection d’albums sans paroles où les artistes du label mettent en sourdine leurs voix pour explorer d’autres voies. A l’heure où tout est bavard, place à la musique !

On l’avait presque oublié, depuis bientôt vingt ans qu’il enchante nos humeurs et dépose des mots délicats sur nos zones sensibles, mais Albin de la Simone est un musicien. Pas des moindres, pas
un simple auteur qui aurait choisi la musique par défaut, mais un garçon flexible et inventif qui aura illuminé de ses claviers, sur scène comme en studio, des artistes majeurs du paysage français. De Alain Souchon à Vanessa Paradis, de Alain Chamfort à Keren Ann, son nom dans les crédits est toujours une promesse de musicalité remarquable, quand il n’endosse pas le rôle de réalisateur (pour Jeanne Cherhal, Pierre Lapointe, Carla Bruni, Miossec ou Pomme) avec le soin rare de ceux qui taillent sur mesure et détaillent en orfèvres le son des autres.

« Depuis que je fais des interviews, on me parle essentiellement de mes textes, presque jamais de musique » observe-t-il pourtant à propos de ses propres albums et des concerts qui le mettent en lumière depuis 2003. L’envie d’un disque entièrement instrumental n’est pas née pour autant d’une piqûre d’orgueil ou d’une frustration mal placée, elle s’est imposée au bout de la trop longue trêve subie par Albin comme par tous les musiciens, empêchés pendant plus d’un an de jouer sur scène et de s’inspirer du mouvement de la vie pour écrire. Les mots ne venant plus, provisoirement, comme s’ils étaient coincés dans le sablier du temps perdu, Albin a choisi de ne pas attendre que l’inspiration des textes lui revienne pour entrer en studio. Il s’est donc installé trois jours durant dans son antre favori du studio Ferber, entouré d’instruments, accompagné seulement par l’ingénieur du son JB Brunhes et ses deux assistants, sans plan de vol précis mais avec une farouche volonté de jouer, d’improviser, de combiner, de se surprendre autant que de surprendre ceux qui ont l’habitude de l’entendre chanter.

Happy end, terme de cinéma, colle bien à cette époque bizarre, faite d’arrêts et de recommencements, d’espoir de fins heureuses, où la vie ressemble à un scénario qui s’écrit à l’encre effaçable, laissant l’imprévisible guider à tâtons ceux qui s’y laissent embarquer. Pénétrons ainsi dans cette maison ensoleillée, dessinée par Albin à Stromboli, sans trop savoir ce qui se cache derrière.


Le premier titre s’appelle justement Soleil, il évoque un genre de western au ralenti, lancinant comme du Morricone mis sous cloche, avec une balle de ping-pong en intruse insolite et déjà beaucoup de cette poésie contemplative dont ce disque déploierait sans se presser les décors et les ombres. « Je voulais faire une musique pour regarder par la fenêtre » dit Albin, et la merveilleuse mélodie de Merveille nous entraîne dans l’un de ces voyages immobiles
où la nostalgie sans tristesse fait office de seul bagage. Parfois Il pleut, ailleurs c’est la Californie, il y a Le Chalet, La Falaise ou Les Tulipes, presque rien au fond, sinon des sensations saisies au vol, suspendues et légères, avec de la buée parfois et aussi de franches éclaircies réconfortantes. On pourrait parler de minimalisme, vu
le temps imparti et l’absence volontaire d’esbroufe, mais cette musique semble au contraire maximaliste par ce qu’elle dessine en filigrane : cathédrales translucides, monuments de sable ou panoramas en trompe l’œil. A l’image de Nils Frahm, avec lequel il partage un lien étroit, un drôle de piano aux formes anguleuses et au son mat baptisé Una Corda, Albin n’a pas cherché ici à faire de la « grande musique », intimidante et hautaine, mais plutôt à poser des thèmes, des rythmes et des textures qu’il manipule en alchimiste, laisse coaguler pour en extraire arômes et couleurs, invitant l’auditeur à y creuser lui-même son refuge.

Le plaisir qu’il a pris à rassembler autour de lui ses instruments fétiches, le fidèle synthé « Helmut » qui l’accompagne depuis toujours, un ARP Odyssey, un Mellotron ou l’incroyable boîte
à surprises électroacoustique baptisée Ciboulette, se ressent derrière chaque note qui défile. Le goût ludique d’improviser en tirant au sort les instruments à mesure de l’enregistrement, façon Stratégies Obliques de Brian Eno et Peter Schmidt sans la prétention, a servi de sésame à des formes et des alliages imprévus qui rendent la matière de cette musique effrontément vivante. Ici un genre de rumba qui se danse en clapotant (Il pleut), là un diptyque séparé à la naissance (Umami/Un ami) et se joue des ressemblances et des différences, ailleurs des pas qui grincent entre les lattes et les notes dilatées d’un piano dans l’intimité (La chambre), en toute fin les ondes « ambient » pour évoquer la chaleur écrasante de l’Estremadure.

Depuis quand un disque avait à ce point glissé avec élégance
sur la mélancolie collective, évoqué dans le même élan une forme d’allégresse, sans avoir besoin d’élever la voix ? Du haut de La Falaise, un thème cinématographique transporte sa part de romanesque mieux que mille images imposées, comme si en allant puiser dans les souvenirs d’avant, Albin de la Simone avait voulu inventer la musique de tous les après. Happy end est à l’évidence aussi un début.

Musique